dimanche 3 avril 2011

Pour une réforme de la régulation du secteur des télécoms

Depuis plus de dix ans, le secteur des télécoms est régulé par l’ARCEP (l’autorité de régulation des communications électronique et des postes). En dix ans, cette régulation a fait passer le secteur d’une administration publique qui apportait des recettes à la collectivité à un marché privé qui impose à la collectivité 50% des dépenses nécessaire en investissement.

Depuis les collectivités locales se battent avec des moyens ridicules contre l'exclusion numérique au prix d'une augmentation des impôts et un surcoût pour les accès difficiles.

Les trois phases de la régulation

Sous administration d’État, c’est dans les années vingt que ce secteur s’est doté d’un budget annexe financé par la vente des services et non plus par l’impôt. La direction générale de télécommunication (DGT) s’est émancipée avec le boom du téléphone payé au prix fort – très bonne affaire pour les sociétés de financement mises en place par le pouvoir Giscardien. L’administration a bâti le réseau téléphonique le plus moderne du monde avec les recettes de la vente de ses services. Elle a même créé un secteur économique de services télématique avec l’invention du minitel, préfiguration des services internet d’aujourd’hui.

Sous la pression de l’Union européenne, le secteur des télécommunications a changé de régulation au cours de la dernière décennie du vingtième siècle. Ce faisant, le système économique et social du secteur est passé d’une administration de services à une multitude d’opérateurs de services privés.

Les investissements de l’administration étaient assurés par un prix également réparti entre les clients, quelque soit le coût de leur accès. Non seulement le secteur ne coûtait rien à l’Etat et aux collectivités locales, mais il apportait sa contribution aux finances publiques nationales.
Un modèle d’exclusion du non rentable
et de financement public du hors marché
La régulation actuelle a une histoire d’une quinzaine d’années qui a permis aux opérateurs privés d’asseoir leur marché sur la rente du téléphone et d’étendre leur marché grâce aux finances publiques.

Capter la rente publique et obtenir l’aide publique

Les clients de France Telecom ont financé le réseau téléphonique le plus moderne au monde, très chèrement à cause du système financier mis en place par le gouvernement Giscard au travers des sociétés de financement créées.

Ils s’en sont vus dépossédés par le gouvernement lors de la première privatisation de 1997, puis par les prix d’accès au réseau téléphoniques imposés par le régulateur pour l’ADSL des opérateurs privés. Ce vol a empêché de mettre en place une mise à niveau du réseau qui permette à tout le monde d’accéder à l’internet en ADSL sur financement primaire.

Les collectivités locales ont dû mobiliser du financement public pour pallier la défaillance du système et les opérateurs ont d’une part obtenu l’extension de leur marché en tant qu’utilisateur de cet ADSL « public » et en tant que prestataire fournisseur des collectivités locales.

Faire financer la moitié du réseau d’accès très haut-débit

Avec le passage au très haut-débit, les ressources financières montent de niveau : le besoin atteint les 24 Md€ pendant quinze ans. 
L'ARCEP reconnaît l'incapacité du secteur à financer
le déploiement de la fibre

L’ARCEP elle-même explique que les investissements nécessaires à la réalisation de la couverture universelle du réseau de distribution très haut débit (la fibre) impliquent pour moitié un financement public (un quart pour les impôts locaux, un quart pour les impôts nationaux).

La philosophie du système de régulation privée est conforme au sauvetage des banques : « au public les déficits et les risques, au privé les bénéfices ». Et les déficits sont couverts par les citoyens au travers d’une politique d’austérité qualifiée d’inévitable.

Mais, malgré le volontarisme public, rien ne garantit l’implication des opérateurs privés. Ils peinent à trouver des justifications au passage à la fibre, avec des prix tirés vers ceux de l’ADSL. Avec un démarchage intense dans les zones équipées, 25% des clients se rétractent, les travaux effraient, comme la nécessité de traiter avec plusieurs opérateurs, pour la fibre d’une part et pour l’accès à internet d’autre part.

La régulation entre "amis" opérateurs
Le modèle concurrentiel du secteur des télécoms est justifié par l’intérêt de la concurrence sur les prix et l’inventivité sur les services. Mais il cache un fait : le marché sur lequel il s’assoie exclut une part significative des utilisateurs potentiels et crée automatiquement une exclusion qui génère un besoin social nécessitant une dépense publique.

Le modèle libéral du secteur des télécoms
se défausse sur la collectivité.
Avec la fibre, la collectivité doit financer la moitié du besoin financier.

Le déploiement de la fibre fait l’unanimité des responsables politiques. Mais les partisans du service public ne sauraient accepter ce partage inéquitable des charges. Le partenariat public-privé imposé par le modèle concurrentiel du secteur des télécoms est inacceptable. Les opérateurs semblent même avoir quelques peines à l’assumer. Il est temps d’imaginer et de mettre en place un autre modèle : le modèle mixte du secteur des télécoms.

Pour un modèle mixte du secteur des télécoms

La régulation du secteur des télécoms a deux objectifs :
- Elle doit permettre de donner à tout le monde accès à n’importe quelle offre de service existante sans mobiliser de la dépense publique.
- Elle doit permettre à une diversité d’opérateurs d’inventer et d’offrir une multitude de services à tout le monde (individu, famille, entreprise, école, collège, lycée, etc.).

Depuis les années 1980, le secteur s’est construit sur un modèle en couches qui a montré toute son efficacité. C’est ce modèle qu’il faut reprendre pour réguler le secteur.
Le modèle mixte du secteur des télécoms
Un opérateur unique, donc public est chargé de raccorder tout le monde à un réseau de très haut-débit et d’en offrir l’accès au travers une d’interface unique, IPv6, qui donne la capacité aux opérateurs de services de réguler leur trafic.

Le prix de cet accès est déterminé le coût unitaire établi péréqué du réseau de distribution très haut-débit. Cette régulation présente trois avantages :
- Tout le monde a accès à n’importe quel service offert par l’ensemble des opérateurs de services.
- Le ticket d’entrée est suffisamment bas pour permettre à un nouvel opérateur de service de construire un modèle économique viable sans mobiliser autant de financement qu’avec le modèle concurrentiel.
- Ces modèles économiques viables à un niveau financier plus bas permettent de lutter contre le phénomène de concentration qui marque le secteur dans le modèle concurrentiel actuel.
- La dépense publique n’est plus sollicitée.

Bénéfice de la réforme

Il est évident que les actionnaires des opérateurs actuels sont les premiers bénéficiaires d’un système qui assure la concentration (les entreprises dont ils sont propriétaire étendent ainsi leur trésor) et empêche les nouveaux venus.

Les salariés et les candidats entrepreneurs du secteur sont objectivement intéressés à un nouveau modèle qui assure plus de dynamisme entrepreneurial et plus d’activité, mais il faut convaincre leurs organisations professionnelles.

Les citoyens-clients sont vivement intéressés à la qualité et à la liberté de l’accès à toute la richesse de l’offre sans avoir à contribuer par l’impôt.

Alors qu'aujourd'hui, la bonne volonté des collectivités locales se heurte à l'incompréhension et à la colère des usagers sous le regard malsain et intéressé des opérateurs.