mercredi 2 mars 2011

Le débat avant les élections

Jean Gadrey, professeur émérite d'économie à l'université Lille 1 propose de remplacer la formule "aller chercher la croissance avec les dents" par la formule "aller chercher le bien vivre et l’emploi utile avec les gens".
Malgré l'augmentation des profits, nos trente dernières années n'ont pas produit les investissements espérés, ni les emplois promis par Helmut Schmidt en 1975. C'est cette évolution monétariste du chancelier keynésien qui a conduit l'économie européenne de gauche comme de droite jusqu'aux dérèglements fous des apprentis sorciers dont notre président est l'un des plus fous représentants.

Ce sont les plus riches qui vivent le plus de profits, ceux qui ne peuvent tout consommer. L'augmentation des profits a créé une masse d'argent qui ne trouve pas à être employée: l'entrepreneuriat a des limites, celle de l'intelligence des cerveaux. Et la technocratie financière a été capable d'inventer des produits financiers de plus en plus sophistiqués pour exister indépendamment de l'économie réelle, jusqu'à la catastrophe de 2008 que les salariés-citoyens doivent réparer.

Pour que les profits augmentent, il a fallu que les salaires baissent. Et les salaires ont baissé avec la diminution des rémunérations salariées, l'augmentation du chômage, la dégradation de la qualité des contrats de travail, l'externalisation et la création d'entreprises prestataires assimilables à des contrats de mission, le statut d'auto-entrepreneur, objet social matérialisant l'avenir du salariat cher à Madelin.

Les salaires d'aujourd'hui font les marchés de demain et les emplois d'après-demain. La révolution politique en marche contre les dictatures au sud de la Méditerranée doit être accompagnée par la révolution économique et sociale au nord de la Méditerranée. Si le mot d'ordre de la révolution arabe est démocratique, sa raison d'être est économique et sociale. Elle rejoint ainsi le besoin des peuples du nord. C'est toute la jeunesse de part et d'autre de la Méditerranée qui s'est mise en branle*.

Les trente dernières années ont montré qu'il ne suffisait pas d'augmenter les profits pour obtenir de l'investissement et de l'activité. Par contre, les trente années précédentes ont montré que l'augmentation des salaires, la promotion sociale et l'égalité n'étaient en rien contradictoires avec le dynamisme de l'activité économique.

La majorité civile et le besoin d'autonomie apparaissent à 18 ans. La vie s'allonge et la proportion de plus de 60 ans s'accroît comme celle des personnes incapables d'autonomie à cause de l'âge. Le travail nécessaire à la création des richesses couvrant les besoins diminue grâce à l'augmentation de la productivité. L'arithmétique de comptoir servie pendant la mise en place de la dernière réforme des retraites est ridicule.

Quel problème pose à la société le fait qu'il y aura un actif employé pour un retraité au lieu de deux pour un actuellement alors que cet actif va produire deux fois plus de richesses grâce à l'augmentation de la productivité? La logique des salariés qui veut que cet actif finance la retraite de son retraité se heurte en fait à la logique du patronat qui veut pouvoir exclure de l'emploi la moitié des actifs employés pour s'approprier le bénéfice de l'augmentation de la productivité. Pour cela il faut en effet diminuer les ressources consacrées au financement des retraites.

La première bataille à mener n'est pas une bataille électorale. La première bataille à mener est une bataille des idées. J'en serai et je pense que je ne serai pas le seul.

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* Et si la révolte des peuples arabes faisait école en Europe... (L'expension du 25 février 2011)