dimanche 29 avril 2012

Lettre ouverte à mes amis qui ont voté Bayrou

Arrivé cinquième au premier tour des présidentielles 2012, avec 9,13% des voix, Bayrou pose un problème à Sarkozy: comment capter à la fois les voix qui se sont portées sur Le Pen (extrême droite xénophobe et anti-européenne) et celles qui ce sont portées sur le porteur des valeurs humanistes et pro-européennes).

Malgré son aversion de la course aux voix du frontistes entreprise par Sarkozy, Bayrou le libéral ne peut appeler à voter Hollande sans lui demander d'envisager des mesures crédibles selon lui qui prennent en compte la réalité des faits dans la lettre aux candidats du deuxième tour qu'il a écrite le 25 avril 2012.

De nombreux proches et très proches que j'aime ont voté Bayrou. L'initiative de leur champion est un appel au dialogue rendu impossible par les extrémités belliqueuses de Sarkozy. Ce dialogue, je cherche à l'avoir aussi avec la majorité socialiste que conduit Hollande - c'est au sein du parti socialiste que ce situe la ligne de partage entre les deux choix de société qui animent du débat démocratique.

Avec raison vous affirmez avec François Bayrou que la crise n'est pas derrière nous et que nous devons l'affronter. Les déficits commerciaux et budgétaires menacent notre modèle social. La violence des attitudes et des mots, la complaisance à l'égard des extrêmes doivent être bannies de nos pratiques politiques. Ce sont les armes qu'a choisi Sarkozy. Ce candidat est incompatible avec ce que vous proposez.

Le pluralisme que vous appelez à reconnaître ne se circonscrit pas à de simples différences de sensibilités. Sa reconnaissance exige l'ouverture à toutes les critiques. Avant d'imposer une règle d'or à tous les pays qui ont choisi l'euro, il faut faire le diagnostic de l'état de l'Europe et de son fonctionnement, il faut évaluer les politiques qui nous ont menés à la crise qui nous attend.

Le modèle social né du Conseil National de la Résistance, l'armature de la France d'aujourd'hui est largement écorné par ces quarante dernières années. Ce modèle constitue l'aspiration principale de la Nation, pas une tradition comme vous le notez. Mais cette aspiration est oubliée à force d'être perçue de plus en plus comme un luxe utopique dans le monde qui change et auquel il faudrait l'adapter.

Une démocratie doit réformer en permanence ses institutions, mais la réforme imposée depuis le début des années 1990 a renforcé le pouvoir destructeur des politiques mises en place dans le milieu des années 1970, au détriment de la justice et de la solidarité.

Coût du travail ou déficience des stratégies? Qu'est-ce qui explique les déficits commerciaux? Comment créer des emplois durables et générer des ressources pour les familles avec la course au low cost? Vous avez raison. C'est bien dans la recherche de stratégies nationales de production, filière par filière, dans chaque territoire que va se gagner notre avenir.

Dans notre pays si démographiquement dynamique, vous affirmez avec raison la nécessité de reconstruire l'éducation sur les acquis de la maîtrise de l'écrit, du chiffre et de la langue sans lesquels des centaines de milliers d'enfants voient leur avenir barré. Plus que les moyens en effet, la question des pratiques, de l'organisation, du développement de l'alternance et de l'apprentissage est essentielle.

Une République irréprochable doit assurer la représentation des grands courants d'opinion à l'Assemblée nationale, avec un personnel politique qui ne cumulent pas les mandats, respecter l'indépendance de la justice et garantir celle des médias. Mais le risque vient aussi de la puissance de l'argent.

Par contre, contrairement à vous je ne pense pas que l'Europe souffre d'un manque de gouvernance ou de lisibilité. Cette gouvernance est conduite par une politique libérale clairement lue par de plus en plus de citoyens européens. Ne mettez pas les opposants à cette politique dans le sac des nationalistes.

Je vous vois plus proche de François Hollande que de Sarkozy. Je vous fais le même reproche: celui de ne pas vouloir reconnaître les erreurs que vous partagez et qui nous ont menés à la crise. Je ne comprendrais pas que vous appeliez à voter Sarkozy. Ce serait un crime contre la République, contre la démocratie, contre l'intelligence. Et l'abstention est une telle démission!

On ne connaît pas encore la décision de François Bayrou. Il ne faudrait pas croire que seules deux visions s’affrontent : celle de Hollande et celle de Sarkozy. Pour une démocratie équilibrée, il faut aussi prêter attention aux visions critiques. C'est ce travail qui fabrique une démocratie équilibrée.

Je suis heureux de vous voir là et pas dans le champ de la guerre permanente entre catégories comme pendant les cinq années que l'on vient de passer.