jeudi 20 février 2014

La responsabilité

"Dans cette bataille qui s'engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance." Ce sont ces paroles (le discours du Bourget) qui ont fait adhérer la gauche à la candidature de François Hollande en 2012. Aujourd'hui, il cherche à gagner la confiance de cet adversaire.

En trahissant son propre discours - personne ne pense qu'il trahisse son opinion, chacun sait bien en quoi elle était conforme à ses actes d'aujourd'hui - François Hollande alimente un réflexe de crispation nationaliste et xénophobe, un repli sur soi catastrophique. Il faut se rendre à l'évidence, ce gouvernement de gauche ne peut pas réussir.

Après avoir enfermé les salariés dans un accord qui permet de déroger au droit du travail sous le prétexte que la direction de l'entreprise affirme qu'elle est en difficulté, le gouvernement livre 50Md€ contrepartie de la promesse d'un million d'emploi faite par Pierre Gattaz - le père Yvon avait promis 100000 emplois contre la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. La promesse d'aujourd'hui ne sera pas plus tenue que celle d'hier.

Toujours 20Md€ de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et suppression des cotisations pour la branche famille (30Md€), le débat porte maintenant sur les contreparties: un million d'emplois, c'est le nombre de créations d'emplois de l'économie française en dix ans, malgré la politique permanente du patronat de baisse des coûts du travail. Un million d'emplois, c'est une promesse qui ne résout rien.

Après quarante ans de politiques de baisse du prix du travail qui n'ont abouti qu'à produire du chômage, de la précarité et de la pauvreté, après vingt-cinq ans d'exonérations, de réforme des retraites, de crédits d'impôts et d'aides directes, il est temps de revisiter la question du pouvoir de décision dans l'entreprise et celle du financement de la protection sociale.

Revoir le pouvoir dans l'entreprise.

Dans ce débat, seuls 50Md€ sont pris en compte. Les salariés ont investi plus de 300Md€ de cotisations sociales dans l'Entreprise avec les exonérations. La moitié des salariés voient leurs cotisations patronales exonérées, partiellement compensées par l'impôt payé à 85% par les salariés. Quelles compensations? La propriété du capital sur l'Entreprise est-elle encore plus légitime que celle que pourrait exiger le travail compte tenu de sa contribution à l'investissement?

Le débat des contreparties devrait contribuer à refonder l'entreprise. Capital et travail ont chacun leur utilité: l'utilité du capital est d'investir, celle du travail est de produire de la valeur ajoutée. Sauf chez Orange où les actionnaires touchent deux fois et demi ce que produit l'entreprise, le capital se rémunère sur la valeur ajoutée après avoir payé le travail, les dettes, les impôts et réinvesti pour servir la stratégie adoptée.

Le capital d'aujourd'hui est bien loin de ces mœurs. Il veut baisser le coût du travail, payer moins d'impôts, investir avec l'aide de l’État et des collectivités locales et prendre le reste pour jouer sur les marchés financiers, notamment au travers des banques qui prêtent à ses entreprises de manière à transformer ses dettes en chiffre d'affaire.

Pourtant, des actifs se lancent dans la création d'entreprise, pas seulement en autoentrepreneur pour sortir du chômage (un sur trois créateurs). Nombreux sont les porteurs de projets qui méritent d'être aidés dans leur projet, mais qui se retrouvent bien souvent devant d'énormes difficultés, faute de soutien financier. Plutôt que des largesses indifférenciées de l’État, il serait plus efficace de mobiliser une organisation locale construite sur l'épargne du territoire, gouvernée collégialement.

Mais l'entreprise doit devenir une véritable personne morale indépendante du capital, gouvernée par les parties prenantes sous la conduite du porteur de projet. Le patron ne doit plus être cet homme de main du capital, grassement payé et révocable à merci. L'objectif est de faire disparaître cette génération d'entrepreneurs qui veut ramasser la mise le plus vite possible et détruit le tissu industriel français en vendant leur entreprise au meilleur prix: les pigeons.

Revoir le financement de la protection sociale.

Avec son pacte de responsabilité, François Hollande poursuit un travail de glissement du financement de la protection sociale de la cotisation vers la fiscalité. Ce mouvement a véritablement commencé avec la mise en place de la CSG par Michel Rocard. Considéré comme cotisation sociale par la Cour de cassation (suivant un jugement de la Cour de Justice de l'Union Européenne), elle est qualifiée d'impôt par le Conseil d’État.

La famille serait la première branche de la Sécurité Sociale à être financée totalement par l'impôt, la branche santé suivrait probablement sous le prétexte que tout le monde peut avoir une famille et être malade - argument semblable à celui qui justifie le retardement de l'âge de la retraite sous le prétexte de l'augmentation de la durée de vie ou à celui qui faisait dire que la population allait mourir de faim à cause de l'exode rural.

Plus un pays a une économie développée,
plus la part d'actifs salariés est importante.
En France, plus de 90% de la population active est salarié. Depuis 70 ans, les salariés ont construit un système collectif de protection sociale basé sur la cotisation. Salaire net et cotisations sociales constituent bien le salaire total sur lequel est prélevé la part que les salariés mettent en commun pour couvrir les risques (maladie, chômage et autonomie - il faut l'espérer) et les évènements (retraite et charges de famille) de la vie.

Mais au fil des années et des "réformes", le financement par la fiscalité a augmenté et alimente actuellement 44% des dépenses annuelles, les cotisations 55% et la dette 2%. Cela installe une assistance publique et une dépendance financière envers la finance qui coûte cher aux salariés (ils paient plus de 85% des impôts).

DESINTOX
La politique de baisse du coût du travail accélère le mouvement du financement de la protection sociale par l'impôt. Elle coûte de plus en plus cher aux salariés au plus grand avantage du capital qui augmente ainsi ses dividendes qu'il détourne de l'investissement dans les entreprises et accélère la désindustrialisation.

La responsabilité de l'échec.

La cinquième République a restauré la monarchie. Et la monarchie réduit l'usage de l'intelligence collective, la plus sûre d'éviter les gros problèmes.

Louis XVI a refusé de suivre les conseils de son entourage le plus éclairé. Il est resté dans la croyance de son droit divin et servi l'intérêt immédiat de sa classe. Il a tout perdu et jeté son pays dans la guerre et la terreur.

Aujourd'hui, les vautours xénophobes, racistes et violents accompagnés de sectaires de toutes religions attendent que la gauche échoue dans son aveuglement à persister dans la séduction d'un capital qui veut solder ses comptes et fuir dans des contrées plus asservies. Ce pacte est vraiment lourd de responsabilité.