mardi 22 décembre 2009

Pour un nouveau modèle de l'entreprise

Le Monde daté du 15 décembre 2009 publie, dans son supplément économie, un entretien avec Blanche Segrestin, enseignant-chercheur à Mines Paris Tech, sur le concept de "société anonyme". Le sujet est important car il touche au modèle de l'entreprise, lieu de la création des richesses qu'il importe de maîtriser socialement pour construire une société humaine durable.

C'est à la Renaissance que les actions deviennent cessibles de manière à pérenniser l'activité et à répondre aux besoins de plus en plus importants de capitaux. La "personnalité morale" de la société se substitut alors aux associés. Mais avec la création de la société anonyme en 1867, les actionnaires perdent la légitimité de prendre des décisions au nom des autres et doivent déléguer cette prérogative à des administrateurs. Et les capitaux sont investis dans des activités qu'il faut aussi gérer. L'administration de la société et la direction de l'entreprise sont deux fonctions distinctes fusionnées en la personne du PDG sous Vichy. La société anonyme créée pour organiser les relations entre associés est aujourd'hui utilisée pour régir l'entreprise. J'y vois la raison de la financiarisation de l'économie.

Militant pour une nouvelle architecture financière publique et sociale construite sur la richesse créée et pour la promotion d'une société favorisant les revenus primaires pour tous, je souhaite m'investir dans la normalisation d'un modèle de l'entreprise qui contribue au progrès humain et à la sauvegarde de la planète.

Le conseil d'administration doit être une organisation paritaire capital-travail parce qu'il gouverne l'entreprise et ne se limite pas à organiser les relations entre associés. Avec la société anonyme, plus aucun associé n'est responsable et tous bénéficient d'une responsabilité limitée. Avec la crise on a même vu à quel point la collectivité devait pallier la carence des commenditaires pour éviter des catastrophes.

Les choix stratégiques produisent de plus en plus des développements externes, l'entreprise achetant d'autres entreprises pour le compte des actionnaires au détriment du développement de la capacité de travail. On a même vu pendant la bulle internet des entreprises vendre à perte pour augmenter leur part de marché de manière à augmenter la valeur à laquelle le propriétaire allait la vendre au groupe en recherche de parts de marché.

Enfin, les actionnaires entrent en concurrence avec l'entreprise dans le partage des résultats, les salariés n'accédant que très marginalement au partage. Le travail doit rémunérer les qualifications des salariés à une hauteur suffisante pour permettre aux salariés de vivres sur un revenu primaire et valoriser les charges supportées par l'Etat pour l'acquisition de ces qualifications. C'est la CGT qui porte les revendications les plus abouties en cette matière, avec son nouveau statut du travail salarié. Le mérite peut très bien être pris en compte dans le partage des résultats.

Société et entreprise sont deux choses distinctes. Si les actionnaires forment bien un société qui doit régler ses relations, ils ne sont qu'un acteur de l'entreprise et doivent y partager le pouvoir avec les salariés. Les événements ont montré combien l'intérêt de l'entreprise et celui des actionnaires pouvaient diverger. La volatilité de l'emploi a accru la responsabilité des salariés dans l'entreprise - ils sont les premiers à souffrir de la conjoncture, mais aussi de la stratégie mise en oeuvre. Il est temps de travailler à un nouveau modèle de l'entreprise.


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A. Hatchuel & B. Segrestin (2007). La société contre l’entreprise ? Vers une norme d’entreprise à progrès collectif in Droit et Société, nº 65, pp. 27-51.
B. Segrestin (2009). Quelles normes pour l'entreprise? in Entreprise et Histoire nº57, décembre 2009.