vendredi 19 avril 2013

Débattre

Un véritable malaise se propage dans le parti socialiste, mais le débat qui permettrait de le transformer est difficilement accepté sous prétexte qu'il risquerait de gêner le gouvernement. La section socialiste de Thorigné-Fouillard a réuni quelques militants sur la situation politique. Elle avait invité les sections alentour, la réponse n'a pas été à la hauteur du sujet, ni de la qualité du débat. Ce soir, c'est le conseil fédéral d'Ille-et-Vilaine élargi qui se réunit sur le sujet.

Le débat a été gêné par l'affaire Cahuzac. Un débat politique qui interroge objectifs, démarches et mobilisation n'est pas aidé par une affaire qui interpelle la morale. Mais la question de l'action gouvernementale et celle de la vision socialiste de la crise a pu être largement abordée.

Depuis trente ans, les gouvernements de gauche comme de droite mènent une politique de l'emploi censée produire les emplois suffisants pour résoudre la question du chômage. Depuis trente ans l'économie ne produit pas suffisamment d'emploi pour permettre à chacun de vivre d'un travail et depuis trente ans ceux qui en ont un y sont de plus en plus mal.

Les difficultés que rencontre notre pays peuvent être vues comme produites par la mondialisation, la sortie de la dépendance des pays émergeants vis à vis de l'Occident. Nous serions victimes de la fatale libération de nos  anciennes colonies. Ce serait le juste retour des choses.

Cette vision ne permet pas d'agir, sauf à dégrader indéfiniment la situation des salariés pour aller vers celle du journalier, ancien nom du statut de mission. Bien sûr, le salariat n'a pas une capacité de résistance homogène et l'inactivité est concentrée sur une partie des travailleurs au travers d'un emploi dégradé: CDD, temps partiel imposé, intérim, chômage. Si les emplois à durée indéterminée et à plein temps sont encore majoritaires, les recrutements se font sur des emplois dégradés: les jeunes sont les premières victimes de cette situation, comme les candidats au retour à l'emploi.

Pris dans un cercle vicieux dont la politique européenne ne risque pas de faire sortir l'économie, cette vision ne permet pas de prendre la main, de faire de la politique. La financiarisation de la crise ouvre une porte.

Le poids de la finance est trop grand par rapport à l'économie réelle. Le poids des actionnaires est trop grand dans l'entreprise. Les Etats et les personnes sont trop dépendants. La finance est trop alimentée par la monnaie qu'elle fabrique grâce aux dettes des Etats, des personnes et des entreprises. Il faut couper les canaux.

Emanciper les Etats.

La dépendance des Etats n'est pas nécessaire. Elle a été fabriquée par la loi Pompidou de 1973 qui impose à l'Etat d'emprunter à un taux de marché sur les marchés financiers. Cette loi a intégré le corpus légal européen avec les traités de Maastricht et de Lisbonne.

L'argumentation qui a servi au vote de la loi est profondément ancrée dans les têtes: il fallait lutter contre l'usage de la planche à billet. Mais banque privée comme banque centrale crée de la monnaie à chaque fois qu'elle prête et cette monnaie ne disparaît qu'avec le remboursement du capital. Ne reste dans l'économie que les intérêts: négligeable pour la banque centrale, mais pas pour la banque privée. Le réseau "Nouvelle donne" des signataires du manifeste Roosevelt 2012 soutient la création d'un réseau de banques centrales contrôlé par la BCE pour reprendre l'activité de prêts gratuits ou à très faible taux aux Etats.

Émanciper les personnes.

Dans les pays occidentaux, la grande majorité des actifs sont des salariés: il s'agit là d'une évolution universelle qui correlle la maturité de l'économie. En France, plus de 0% des actifs sont des salariés, en emploi ou au chômage.

Dans les années 1980, le poids des salaires dans le PIB a baissé brutalement de 10% en France, moins brutalement, mais d'aussi grande importance en Allemagne et en Europe. Cette baisse s'explique avant tout par l'impact du théorème de Schmidt (1975) dans la tête des milieux dirigeants: la baisse des salaires c'est plus de profits aujourd'hui, pour plus d'investissements demain et plus d'emploi après-demain. Quarante ans après sa formulation, la permanence de la crise montre qu'il n'en est rien.

Cette baisse des salaires est alimentée par la précarisation de l'emploi et "les exonérations de charges" en partie compensées par l'Etat, mais payées à 90% par les salariés: en fait, ces exonérations constituent des baisses de salaires pour la moitié des salariés en dessous de la médiane pour laquelle l'employeur ne paie plus les cotisations patronales, mais aussi pour la moitié des salariés au dessus de la médiane au travers du surplus d'impôt correspondant à la compensation.

Emanciper les entreprises.

La France est un pays qui produit beaucoup d'épargne, mais cette épargne ne bénéficie pas correctement aux entreprises par manque de gouvernement local. L'une des raisons du succès du tissu de PME en Allemagne tient au réseau de caisses d'épargne (Spar Kasse) dont les fonds sont mis au service de l'activité locale. La banque d'investissement est censée avoir cette fonction. Sa gouvernance n'est quand même pas aussi claire et les circuits financiers ne sont tout de même pas aussi courts.

D'autre part, la question de la gouvernance des entreprises joue un rôle non négligeable.

Le soutien au gouvernement ne peut empêcher le débat. Il y a autant de risque à ne pas débattre qu'à débattre. Le gouvernement est l'émanation du parti, mais il vit ses choix qui sont légitime. Et les socialistes ne doivent pas taire un débat qui existe dans ses rangs.